Chapitre 7 : Isolement croissant
La cour du lycée était encore animée par le tumulte habituel de la pause de midi, mais Shimy ne faisait plus partie de la ronde. Elle s’était installée sur le rebord d’un muret, jambes croisées, carnet ouvert sur les genoux, mais elle ne dessinait pas, elle observait. Silencieuse, froide, lucide. Chaque rire, chaque échange, chaque sourire des autres semblait amplifié par son sentiment de distance.
Shun-Day, comme toujours, semblait flotter au-dessus de tout, charmante, attentive, captivante. Elle riait aux blagues de Gryf, faisait semblant de s’intéresser aux idées de Jadina et Danaël, et d’un geste presque imperceptible, gagnait encore en crédibilité auprès du groupe. Ses paroles étaient douces, son rire contagieux. Et Shimy voyait à travers. Elle voyait les manipulations.
– Tu devrais proposer ton idée pour le projet, dit Shun-Day à Jadina avec un sourire encourageant. Tu sais que ton opinion compte.
Jadina sourit timidement, touchée par l’attention.
– Merci… je… oui, je vais le faire.
Shimy serra les poings sur son carnet. Elle avait proposé une stratégie différente, qui aurait évité un certain conflit dans le projet, mais personne ne l’avait écoutée. Chacun, fascinés par Shun-Day, avait balayé ses avertissements comme s’ils n’avaient jamais existé.
– Shimy, tu parles trop… souffla Gryf en passant près d’elle, moitié moquerie, moitié exaspération.
Elle leva les yeux, mais ne répondit pas. Son regard glacial le coupa net, et Gryf détourna le sien, troublé par la froideur (in)habituelle. Il sentait qu’il perdait quelque chose de précieux, mais il ne savait pas quoi.
Danaël, de son côté, observait la scène depuis la fontaine, un froncement de sourcils sur le visage. Il sentit pour la première fois un doute s’installer en lui. Il aimait suivre le groupe, maintenir l’harmonie… mais Shimy avait raison. Elle voyait plus loin que lui, elle voyait ce que personne ne voulait admettre.
– Je devrais peut-être… murmura-t-il à Jadina. Mais il se tut, incapable de trouver les mots pour convaincre sans déclencher un conflit.
Pendant ce temps, Shimy se faisait de plus en plus silencieuse. Elle ne participait plus aux conversations, répondait par monosyllabes quand on l’interpellait, et évitait de croiser les yeux de Gryf, même si chaque fibre de son être lui criait de le confronter.
Shun-Day, consciente de l’effet qu’elle avait créé, s’approcha du groupe en riant légèrement, mais jeta un coup d’œil vers Shimy, un sourire à peine perceptible sur les lèvres. Shimy vit ce regard et sentit un frisson d’injustice la parcourir.
– Vous savez, dit Shun-Day en tournant la tête vers le groupe, je pense que si on organisait la présentation comme ça, tout serait plus simple et efficace…
Le groupe acquiesça aussitôt. Même Danaël, malgré son intuition, se laissa convaincre par la facilité avec laquelle tout semblait s’aligner autour de Shun-Day.
– Je… je ne suis pas sûre… murmura Shimy, plus pour elle-même que pour quelqu’un d’autre.
– Hein ? fit Gryf, confus.
– Rien, chuchota-t-elle, reprenant sa place, invisible.
Elle sentit la colère monter, mêlée à une frustration intense. Sa voix semblait n’avoir aucune valeur, son regard n’était qu’un détail, et chaque sourire pour Shun-Day était comme un coup de poignard dans sa poitrine. Elle comprit que le groupe l’avait réellement rejetée.
Même Jadina, confuse, lui lança un regard rapide, mais détourna les yeux aussitôt, hésitante entre loyauté et influence sociale. Danaël, lui, ressentait une tension grandissante dans sa poitrine : il savait que quelque chose clochait, mais l’adhésion du groupe le contraignait à rester en retrait.
Shimy s’adossa au mur, croisant les bras, les lèvres pincées. Les larmes de frustration ne montèrent pas, mais son cœur était lourd. Chaque éclat de rire, chaque regard admiratif porté à Shun-Day, chaque mot accepté comme vérité par le groupe creusait un fossé entre elle et eux.
Elle réalisa alors avec une acuité glaciale : elle était seule, isolée. Et ce n’était pas temporaire. Le groupe, aveuglé par le charme et la crédibilité de Shun-Day, répéterait ses erreurs, répéterait ses aveux faux et ses manipulations. Et personne ne l’écouterait, pas même ceux qu’elle aimait le plus.
– Toujours à observer… murmura-t-elle pour elle-même, carnet serré contre sa poitrine. Tant pis. Si personne ne veut voir… je devrai agir seule.
Shun-Day, au loin, riait toujours avec Gryf, ignorant que Shimy l’avait déjà démasquée dans son esprit, analysant chaque geste, chaque mot, chaque sourire. La bataille ne faisait que commencer, mais Shimy savait désormais qu’elle devait être patiente et stratégique. Plus silencieuse, plus invisible… mais prête.
Et alors que la cloche annonçait la reprise des cours, Shimy se leva lentement, la nuque raide, le regard fixé droit devant elle. Elle était seule, mais elle n’était pas vaincue.