Chapitre 8 : Observatrice silencieuse
Shimy avançait dans les couloirs du lycée comme une ombre, silencieuse mais consciente de tout. Ses pas résonnaient à peine, et pourtant, son esprit captait chaque détail : le rire trop fort de Gryf à côté de Shun-Day, le regard hésitant de Danaël lorsqu’il croisa celui de la manipulatrice, le sourire forcé de Jadina qui semblait à la fois captivée et confuse. Elle nota mentalement chaque geste, chaque inflexion de voix, chaque petit mensonge glissé sous couvert de chaleur ou de bienveillance.
Seul le coin de sa bouche se crispa parfois lorsqu’elle se remémorait les incidents de la cour, la façon dont Halan avait essayé de provoquer Danaël, ou comment Gryf, aveuglé par Shun-Day, s’était laissé séduire par ses manières calculées. Chaque scène répétée dans sa tête devenait un puzzle qu’elle devait résoudre.
Elle trouva refuge sur son banc habituel, carnet noir ouvert, plume prête. Écrire l’aidait à mettre de l’ordre dans son esprit, à ne pas laisser le flot de frustration l’engloutir. Ses notes n’étaient pas seulement des mots, elles étaient des cartes, des stratégies, des constats :
Shun-Day influence le groupe par petites touches. Rien de spectaculaire, mais suffisant pour que personne ne se méfie. Danaël est confus, Jadina hésite… et Gryf est aveugle. Je dois agir, mais comment ?
Lorsqu’elle vit Razzia passer près d’elle pour aller au gymnase, elle profita d’un moment où personne ne la regardait pour l’interpeller discrètement.
– Raz… murmura-t-elle. Tu as remarqué… ce que fait Shun-Day ?
Razzia s’arrêta, fronçant les sourcils. Il connaissait Shimy, et il savait qu’elle ne dramatise jamais.
– Oui… je vois, répondit-il à voix basse. Mais le reste du groupe… ils ne comprennent pas encore.
– C’est pire que je ne pensais… souffla Shimy, les mains crispées sur son carnet. Ils la suivent aveuglément, et chaque mot qu’elle prononce les éloigne un peu plus de moi.
Razzia posa sa main sur son épaule, un geste discret mais rassurant.
– On trouvera un moyen. Tu n’es pas seule… même si eux le pensent.
Shimy hocha la tête, appréciant le soutien silencieux. Mais son isolement restait cruel. Même ceux qu’elle considérait proches étaient parfois des obstacles à sa lucidité. Elle songea à Danaël et Jadina. Peut-être que si elle leur expliquait clairement, ils comprendraient…
Elle se leva et se dirigea vers eux, le cœur battant. Mais lorsqu’elle aborda Danaël :
– Danaël, il faut que tu vois ce qu’elle fait. Shun-Day… elle manipule le groupe. Tu dois m’écouter.
Danaël la regarda, les yeux brillant d’un mélange de frustration et de confusion.
– Tu vas trop loin. On ne peut pas toujours voir le mal partout. Tu exagères.
Le sang de Shimy ne fit qu’un tour. Elle sentit un mélange de colère et de douleur. Même Danaël, qu’elle croyait lucide et juste, la rejetait.
– Je n’exagère pas ! dit-elle plus fort, mais toujours contrôlée. Tu ne vois pas ce qui se passe !
Danaël détourna les yeux, serrant les poings, incapable de lui répondre. Son silence était une blessure à part entière.
Elle se tourna alors vers Jadina, qui feignait l’écoute mais dont le regard oscillait entre gêne et peur de se tromper :
– Jadina… tu ne comprends pas ? Shun-Day joue avec nous… chaque geste, chaque sourire. Tu dois voir ça.
– Shimy, arrête, murmura Jadina en secouant la tête. Tu me fais mal à force d’insister.
Le choc de la trahison éclata dans l’esprit de Shimy. Même ses amis les plus proches pouvaient la blesser, volontairement ou non. La sensation de solitude se fit plus aiguë, comme une lame froide dans sa poitrine. Mais cette douleur, elle la transforma. Elle sut, à cet instant, que personne ne la protégerait si elle ne se protégeait pas elle-même.
Elle retourna à son banc, la tête haute malgré la douleur. Ses yeux balayaient à nouveau le groupe, analysant, mémorisant. Chaque sourire de Shun-Day, chaque regard admiratif, chaque petit rire… tout devenait matière à stratégie. Son isolement n’était plus une faiblesse, il devenait moteur.
– Très bien, pensa-t-elle. Si personne ne voit, si personne n’écoute… alors je ferai seule. Et je serai prête.
La cloche retentit, et Shimy se leva, silencieuse mais déterminée. La solitude s’installait comme un manteau lourd, mais elle n’était plus effrayée. Chaque pas, chaque regard, chaque pensée devenait une arme. Et bientôt… Shun-Day découvrirait qu’elle n’était pas seule à observer.