(je serais en retard pour le Légentobre jour 28: Clef, du coup à la place, je poste cette fanfic qui attendais dans mes dossiers)
Danaël se rappelait difficilement de leur toute première expédition dans la forteresse de Darkhell, mais il se souvenait dans les moindres détails de la première conversation qu'ils avaient échangé avec l'elfe élémentaire qu'ils venaient de délivrer.
Bien plus tard, accoudé au balcon du palais d'Oroban, loin d'un bal auquel ils ne voulaient pas assister, Danaël se souvient encore.
(je prends pas en compte la chronologie du second cycle de origines, je suis ma chronologie perso constituée en 2019)
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Peu importait combien il essayait de les rassembler, les souvenirs que le chevalier Danaël gardait du sauvetage de l'elfe élémentaire qui les avait mené au plus profond des cachots de Casthell ne semblaient jamais vraiment clairs. Dans la forteresse aux couloirs sans fins du sorcier, il avait vu des choses au delà de son imagination et affronté des créatures que la nature n'aurait jamais été capable de de créer. Ils avaient traversé un labyrinthe de couloirs qui se ressemblaient tous, entendant derrière eux les suppôts de Darkhell se précipitant à leurs trousses sans jamais pouvoir les apercevoir entièrement.
Danaël se rappelait d'avoir donné des ordres, d'avoir cherché une issue, d'avoir passé en revue milles et une versions de ce qu'ils pouvaient faire. Il avait passé le bras de Shimy autour de ces épaules pour l'aider à marcher, il avait suivit Razzia en priant pour que les couloirs n'aient pas changés depuis son dernier passage, il avait repensé au corps de ferme où il avait grandit en se demandant s'il allait mourir si loin des arbres qu'il avait escaladés toute son enfance, sans Ikaël et sans Saryn. Cela avait presque été le cas.
Les souvenirs devenaient bien plus clairs lorsque venait le moment où la lame d'un Darkelion lui avait perforé le ventre, où son poing avait fait éclater le cartilage de son nez, où il avait été précipité du haut des remparts vers les douves, comme une vulgaire carcasse qu'on voulait voir disparaître. Les souvenirs devenaient clairs parce qu'il se souvenait de la douleur. Il se souvenait des bras de la femme au sourire rieur qui l'avait tiré de l'eau et apaisé sa souffrance. Il aurait pu répété de mémoire chacun des mots qu'elle lui avait murmuré à l'oreille et chacune des promesses qu'il lui avait faites en retour. Elle l'avait rendu au monde des vivants, une nouvelle épée à la main, jeté sur la route sur laquelle s'étaient enfuis ses camarades pour qu'il puisse courir les rejoindre.
Parfois, quand les nuits devenaient trop courtes, et qu'il devait fouler du pied les villages réduit en cendres que les ombres de Darkhell semaient derrière elles, sans réussir à trouver d'endroit au sol qui n'était pas couvert de sang, Danaël se demandait pourquoi il n'avait pas demandé à rester mort. Parfois, mourir lui semblait si calme, comme un sommeil sans fin où il pouvait innocemment se permettre de rêver de repos. Rêver de Saryn.
Mais lorsqu'on lui avait proposé de retourner au combat, refuser n'avait pas fait partie des options qu'il avait pu envisager. Des gens qui avaient accepté de combattre à ses cotés été resté derrière lui quelque part aux prises avec Darkhell, et si eux devaient saigner, alors il voulait saigner parmi eux.
Il n'avait pas beaucoup plus de souvenirs de cette première percée dans l'antre de Darkhell. Il se disait que c'était probablement parce que rien d'autre n'avait été réellement important.
Importants, en revanche, avaient été les moments qu'ils avaient passé au près de Shimy par la suite. Oh, ceux là, Danaël était tout simplement certain qu'ils ne pourraient jamais quitter son esprit.
Il avait lu sur les elfes dans ses livres d'Histoire. Où plutôt, surtout, dans ses livres d'histoires. Sur des centaines de pages, entourés de milles mots élogieux, on lui avait conté des rencontres avec des êtres éthérés et charmants, hypnotiques et terribles, mais aucune fable ni aucune ballades n'avait pu le préparer aux merveilles dont Shimy s'était révélée capable.
Alors qu'il se précipitait pour la soutenir tandis qu'ils tentaient de trouver un endroit où rester à couvert, ses pieds dérapant sur le sol glissant et la pluie collant ses cheveux à son visage, il avait tout d'abord sentit le poids à son coté s’alléger lorsque Shimy avait tourné les talons sans un mot pour faire face aux ombres des darkelions qui apparaissaient à l'horizon.
Il avait sentit la terre gronder sous lui, poussant ses pieds de là où ils se trouvaient, et le précipitant au sol puisqu'il été à présent à quelqu'un d'autre de décider de la nature des éléments. Il avait vu des trombes d'eau de l'averse sous laquelle ils se trouvaient se figer entre ciel et terre pour changer de forme, pour changer de taille, pour amorcer des mouvements impossibles. Il avait entendu les vents hurler comme il ne les avait jamais entendu faire alors que la colère silencieuse de l'elfe se déverser enfin sur les monstres de son bourreau après des semaines de souffrance.
Étrange, surnaturelle et furieuse, elle avait projeté au sol des créatures faites pour les cieux avec des chaînes de pluie qui devaient sûrement rester bien moins terrible que celles qui avaient été les siennes.
Étrange, surnaturelle et les yeux baignés de larmes de rage, elle avait ouvert le sol sous leurs corps dans un fracas assourdissant de roches se mouvant à son bon plaisir et les y avait enterré l'instant suivant.
Hypnotiques et terribles, éthérés et charmants. Danaël n'avait pas pu s’empêcher de penser que c'était pour ressembler à quelqu'un comme Shimy qu'il avait tout quitté pour prendre le nom de héros.
Il n'avait pas fallu qu'une seconde à l'infaillible justicière, la grande elfe élémentaire d'Astria pour disparaître alors que Shimy s'écroulait au sol, pliée en deux pour cracher de la bile, incapable de vomir après avoir été affamée si longtemps. Jadina, Razzia et Gryffenfer s'étaient aussitôt précipité pour les rejoindre, s’inquiétant de leurs état, leur tendant des mains pour les aider à se relever. Les mains de Razzia avaient saisit Danaël sous ses bras pour le soulever comme s'il avait été un gros sac de farine pour le remettre sur ses pieds. Shimy avait ignoré l'aide qu'on lui proposait pour se relever obstinément malgré le tremblement de ses jambes. Les larmes avaient disparues de ses yeux. Danaël ne savait pas si quelqu'un d'autres les avaient remarquées.
« On bouges » avait-elle marmonné entre ses dents serrés.
Elle avait fait un pas vers on ne savait trop où, probablement une direction aléatoire qu'elle avait à demi choisie au hasard, avant que ses genoux ne manquent de lâcher et de la précipiter au sol.
« Avec toi dans un état pareil, tu plaisantes ? Il faut absolument nous arrêtez un peu ! » avait protesté Jadina en se penchant pour lui saisir l'épaule.
Comme brûlée au fer rouge, Shimy s'était reculée avec violence, adressant à Jadina un regard qui la défiait d'oser faire un pas de plus dans sa direction. Avant que celle-ci n'ait l'occasion de protester ou d'ajouter quelque chose, Gryffenfer s'était penché à son oreille pour lui murmurer quelque chose.
« Laisse-la tranquille. Laisse lui de la place. »
Pendant un court instant, Shimy l'avait regardé dans les yeux avant de sembler décider que ce qu'elle y voyait lui convenait. Alors ils avaient fait selon les conseils de Gryffenfer. Ils lui avaient laissés de la place. Ils avaient reprit leur marche lorsqu'elle avait recommencé à se déplacer, laissant quelques mètres de distance entre eux, n'ouvrant la bouche que pour lui indiquer la direction qu'ils devaient suivre. Shimy, elle, n'avait pas ouvert la bouche avant qu'ils ne montent enfin le campement et qu'elle ne se soit assise assez près du feu pour que les ombres qu'il projetait sur son visage puissent cacher la façon dont celui-ci était complètement tuméfié.
« Vous avez été envoyés par qui ? » avait-elle marmonné sans plus d'introduction.
Comme aucuns des légendaires n'avait su s'il devait parler en premier, elle avait ajouté :
« Ça va, allez-y, je sais que c'est pas ces vieux rats du Conseil qui vous ont engagé pour m'aider.
-Le conseil ? » s'était permis de répéter Danaël alors qu'il tâchait de remémorer toutes les institutions qu'il avait pu rencontrer qui portaient le même nom.
« Le conseil elfique d'Astria » les avait gentiment éclairé Jadina alors qu'elle remarquait le coup d’œil interrogateur que lui avait adressé Gryffenfer. « Ils n'ont pas la réputation d'être très … généreux lorsqu'il s'agit de se mêler des affaires humains. »
Pour la première fois depuis qu'elle s'était retrouvée à leurs coté, Shimy avait laissé échappé une sorte de petit rire qui ressemblait tout autant à une exclamation ronchonne.
« Comme c'est poliment dit ! » avait-elle marmonné. « J'te promets qu'ils vont m'entendre ces vieilles peaux ! Dès que je rentre... »
Le rictus agacé avait soudainement déserté ses lèvres alors qu'elle semblait réaliser quelque chose et elle avait soudain passé ses mains sur ses vêtements, cherchant dans ses poches, autour de son cou et de ses poignets. Alors qu'elle ne trouvait pas ce qu'elle voulait, une expression d'horreur avait peu à peu pris possession de ses traits.
« Ma clef ! Ma... est-ce que Darkhell ? Non... oh non, ma clef est restée avec Regen ! » balbutia-t-elle comme si elle avait soudain oubliée qu'ils se trouvaient avec elle.
« Regen ? » avait articulé Razzia au même moment où Gryffenfer avait demandé un ton plus fort :
« Quelle clef ? »
Il avait prononcé le dernier mot comme un autre aurait tenté d'articuler le nom d'une étrange et obscure maladie depuis longtemps oubliée. Shimy avait relevée les yeux vers lui et lorsqu'elle avait repris la parole, sa voix était emplit d'une fierté sans pareille.
« Ma clef elfique. Celle qui a été marquée par mon sceau. Celle qui a été fabriqué pour moi le jour même de ma naissance. »
Danaël n'avait pas pu s’empêcher la curiosité de l'envahir et il avait délaissé les sardines de la tente pour prêter l'oreille à ce que ces camarades se disaient. On racontait parfois que le roi Larbosa possédait une clef elfique, un artefact que seul un nombre d'humains qui se comptaient sur les doigts d'une main avaient eut le droit d'avoir en leur procession. Il n'en l'avait jamais vu et il s'était approché simplement pour entendre. Simplement pour savoir.
« C'est important ? » s'était enquit Gryffenfer comme s'il s'apprêtait déjà à repartir sur les routes à la recherche d'une autre elfe, parce qu'on lui avait dit qu'il était un héros, et que cela ressemblaient à ce que les héros faisaient.
Sa question avait de nouveau rire Shimy, et Danaël s'était fait la remarque que son rire ne semblait jamais durer plus d'une seconde ou deux avant de disparaître sans laisser de traces. Comme s'il n'était jamais arrivé. Une de ses blessures au bras avait semblé se rouvrir et elle avait grimacé en se serrant le bras. Comme pour les empêcher de voir sa douleur ou son sourire, elle s'était relevée pour leur tourner le dos, prétextant de faire quelques pas.
« Important ? » avait-elle murmuré d'un ton amusé, avant que son regard ne se pose sur les flammes vacillantes du feu de camp. Alors, pour la première fois, Danaël avait vu les traits de son visage retrouver une forme de paix. Le haut de ses sourcils avait finit par se relever, sa mâchoire, à perdre de sa raideur et il aurait presque pu croire qu'elle ne s'adressait plus à eux, perdue dans le songe d'une ancienne époque.
« Ma clef est une promesse » avait-elle déclarée, et Danaël se souvenait encore de chaque inspirations qu'elle avait prise avant de prononcer le prochain mot. « L'assurance que je fais partie du peuple elfique et qu'ils sont miens autant que je suis à eux. C'est une promesse de retour. Parce que cette clef m'a été donné, je sais que peu importe où je pourrais me trouver sur le globe ou au delà, j'aurais toujours une maison qui m'attend. Ma clef me rappelle que j'ai une place quelque part.
Elle s'était tu un instant, comme si elle avait peur que ce qu'elle disait ne commence à lui échapper. Danaël devait apprendre qu'elle ne contrôlait pas toujours tout autant qu'elle le voulait. D'un coup de sa botte, elle avait fait sauter un morceau de bois qui avait roulé hors du feu pour le remettre avec les autres. S'en était finit des rêveries d'une époque révolues. Pour clore sa réponse, elle avait tourné la tête du coté de Gryffenfer.
« C'est mon foyer entier dans le creux de ma main. »
Lorsqu'on lui avait pour la première fois demandé ce qu'il avait eut en tête lorsqu'il avait fondé les Légendaires, Danaël n'avait pas réellement su quoi répondre, comme si tout mots cohérents avaient désertés son esprit. Parfois, il lui arrivait de ne toujours pas savoir quoi dire. Ce soir là, avec les nuages encore lourds de pluie et le feu qui n'éclairait qu'à demi leur visage, Danaël avait eut l'impression que tout lui apparaissait enfin entièrement, clair comme du cristal, sous la forme d'un sentiment brûlant qui avait soulevé son cœur pour ne laisser derrière lui qu'un frémissant désir de meilleur.
« Une clef elfique où qui que soit Regen ne devrait pas être trop difficile à retrouver » avait-il promit en tendant la main à Shimy. « Nous sommes les Légendaires, je crois que c'est le genre de chose que nous faisons. »
Et c'était en effet le cas. C'était ce qu'ils avaient fait. Mais ils n'étaient jamais parvenus à rendre à Shimy tout ce qu'elle cherchait
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Danaël avait passé bien trop de soirées ennuyeuses à la coure de Larbos pour ne pas savoir exactement où avait disparue Shimy dès qu'il s'était rendu compte qu'elle avait déserté la cérémonie. Il avait fait le même genre de chose assez souvent pour se rappeler de tout les recoins tranquilles accessibles depuis la salle de bal.
Il avait été un piètre lieutenant et un frère bien pire encore. Le jour où Ikaël avait récupéré sa première récompense pour acte de bravoure à quinze ans, Danaël avait été trop obnubilé pas la série de sept ricochés qu'il ne parvenait pas à faire pour lui prêter une quelconque attention et il avait quitté la fête avant même qu'Ikaël ne reçoive sa décoration. Il avait dévalé les marches des cuisines pour se glisser à l'extérieur, le long des douves qui longeaient l'arrière du palais pour y passer la plupart de la nuit à y jeter des cailloux. Peut-être que Shimy aurait également préféré ce genre d'activités à celle de sourire et de serrer les mains à tout les membres de la noblesse Larbosienne, mais elle ne connaissait pas assez bien les lieux pour pouvoir avoir pu trouver ce chemin là. S'il devait en juger par ce que son amie savait du palais et par la façon dont elle agissait, il était l'heure de passer faire un tour au premier étage.
Plus loin sur la piste de danse, Jadina avait finit par convaincre Gryffenfer de l'accompagner pour une nouvelle danse. Il avait toujours été son partenaire favori, celui qui était assez rapide et agile pour ne jamais lui marcher sur les pieds. Danaël leva une main dans leur direction pour leur indiquer où il s'éclipsait, mais il n'était pas certain qu'ils n'aient réussi à l’apercevoir. Près de la colonne où il trouvait en pleine discussion avec un groupe de scientifiques larbosiens, Razzia lui adressa un petit signe de la tête, comme s'il savait d'avance où il se rendait, et c'était peut-être le cas.
Plusieurs coupes remplies d'un épais liquide bleu attendaient sur l'une des tables. Danaël en attrapa deux au passage et se fraya habilement un passage entre les invités présents pour rejoindre l'escalier. Marches après marches, les bruits de la fête, les rires et les éclats de voix semblèrent peu à peu devenir plus diffus, mais pourtant, un reste de musique persistait. Même une fois à l'étage, s'il tendait l'oreille, il pouvait encore entendre les notes de l'orchestre, aussi lointaines que s'il se trouvait dans un autre monde, où qu'il s'agissait des fantômes d'un autre temps. Après tout, pourquoi cela n'aurait-il pas été possible ? De mémoire, il lui semblait que les orchestres venant à Oroban ne faisaient que jouer les mêmes partitions traditionnelles en boucle depuis plus de dix ans. Du moins, c'était ce que faisaient ceux qui se produisaient au château.
Shimy était seule quand il la retrouva, accoudée au milieu d'un balcon désert, le visage tourné vers le ciel nocturne, si immobile qu'on aurait pu la prendre pour une antique statue oubliée. Elle ne bougea pas plus quand Danaël vint la rejoindre. Elle se contenta de prendre le verre qu'il lui tendait et de se pencher pour le faire s'entrechoquer avec le sien. Le tintement du verre sonnait comme l'éclat de rire qu'elle ne lui adressa pas. Danaël savait où les trouver autre part que dans sa bouche.
« Ils ont même remplit les douves rien que pour nous ! » lança-t-il en désignant les reflets des lunes sur l'eau en contre bas. « Je crois bien que je les ai toujours vues à secs !
Leur capture de l'artificier Evanvelux avait dû satisfaire le roi Larbosa, après le nombre de convoie d'armes qu'il avait pu livrer à Darkhell en passant au dessus des campagnes Larbosiennes.
« Ce n'était pas la peine de venir me voir, tu sais. » déclara Shimy en portant sa coupe à ses lèvres. « Je suis certaine qu'on s'amuse plus en bas. »
Peut-être qu'elle n'avait pas tord, et que Danaël pourrait finir par y trouver un certain intérêt. Peut-être qu'il redescendrait plus tard, pour faire la conversation à tout les magistrats et les hauts gradés qui l'avaient interpellé plus tôt, pour leur parler de l'équité et de la justice qu'ils ne se foulaient pas pour faire régner. Cela serait amusant, mais pour l'instant, il ne pouvait pas imaginer sa soirée se dérouler ailleurs qu'ici, aux cotés de Shimy. Et dans son esprit embrumé de fatigue, il pouvait voir ce moment s'étendre plus longtemps que des jours et des mois, s'étendant encore et encore jusqu'à ce que le temps prenne fin. Et alors ils seraient encore là, à partager un verre en regardant des douves qui auraient disparues. Il aurait voulu se trancher la paume pour mêler son sang au sien dans un dessin brouillon et désordonné d'écarlate, il aurait voulu promettre sous serment qu'il n'y aurait plus un verre au monde dont il ne boirait si elle n'était pas là pour boire à ses cotés. Il se contenta de hausser les épaules.
« Quand on a vu une fête larbosienne, on les a toutes vues. »
Du moins c'était le cas pour celles qu'on donnaient dans les palais royaux. Danaël était un homme fait pour passer ses soirées sur les place de village, au milieu de flaques de mauvaises bières renversées, chantant à plein poumons des ballades populaires qu'il avait apprises dans ses années de formations. Il avait un jour essayé de voir ce que la noblesse d'Oroban pensait de la Chanson du Hérisson. Ikaël avait refusé de lui adresser la parole pendant une semaine.
Shimy arqua un sourcil qui en disait long en appercevant le demi sourire qui venait d’apparaître sur ses lèvres sans qu'il ne s'en rende compte.
« Est-ce que... »commença-t-elle avant d'hésiter un instant pour finalement poser sa question. « Est-ce que c'est la première fois que tu retournes ici depuis, tu sais ? Les légendaires ?
Danaël se demanda un instant comment elle avait su. Avait-il été si peu discret ? Y avait-il quelque chose dans la façon dont il embrassait du regard les champs irréguliers de la campagne larbosienne qui l'avait trahi ? Ou bien était-ce dans le ton de sa voix quand il leur avait parlé des meilleures auberges de la capitale ?
Il posa son verre contre le balcon pour mieux y croiser les bras, se penchant un peu plus vers les ombres des douves. Un jour, Saryn lui avait dit que la famille royale élevait dedans des poissons de la taille de sa jambe. Il s'en voulait d'être si heureux de revenir après un départ qui avait été si important. Il s'en voulait de s'en vouloir.
« Je ne savais pas que ça m'avait tant manqué. » admit-il.
D'avoir quelque part où retourner, quelque part qui ne bougerait jamais. Un roc qui serait toujours au même endroit, peut importe tout ce que le monde pourrait lui opposer.
« Est-ce que ça à beaucoup changé depuis que tu es parti ? » demanda Shimy, et sa voix avait quelque chose d'étrangement inhabituel sans que Danaël en sache réellement quoi.
Il tourna la tête dans sa direction, mais elle semblait plus occupée à observer les remous dans le fond de son verre.
Certains disaient de l'elfe élémentaire Shimy qu'on ne lisait jamais grand chose dans ses yeux. D'autres savait quelle genre de lumière y chercher. Danaël ne parvint pas à la trouver à cet instant ; simplement les reflets d'une sorte de peine sur laquelle on ne voulait pas mettre de nom.
« Shimy ? » murmura-t-il, et ce fut comme si on réveillait une dormeuse. « Est-ce que quelque chose ne va pas ? »
Il l'avait formulé comme une question, comme s'il ne savait pas déjà, comme s'ils ne savaient pas tout les deux. Shimy et Danaël savaient toujours ce que l'autre savaient. Cela faisait maintenant six mois que le conseil d'Astria avait pris sa décision concernant les agissements de Darkhell, proclamant à travers toutes leurs îles qu'ils n'avaient nullement l'intention de se mêler des affaires des humains d'Alysia. Sept mois que Shimy avait fait éruption à la grande coure du roi pour proférer toutes sortes d'injures et de menaces si quelqu'un ne décidait pas rapidement de revenir sur ce décret.
« Obéissance totale aux volonté de sa seigneurie » était inscrit depuis des temps immémoriaux dans les serments de prêtaient les elfes élémentaires, dans les paroles de tout les prédécesseurs de Shimy avaient un jour prononcés. Danaël avait pu apprendre rapidement combien les mots étaient bien plus chargés de sens à Astria qu'il ne l'était dans le monde où il avait grandit.
Les déclarations faisaient valeurs d'actes et les paroles brisées se payaient au prix fort. En s'opposant de la sorte aux mots du roi Kash-Kash, Shimy avait causé un désordre dans la valeur de sa parole et de ses promesses qui ne pouvait se payer que par l'exil sur les pitoyables terres d'Alysia, sans espoir de retour, à moins qu'elle ne souhaitait retrouver que le mépris, la colère et la répulsion de ceux qui avaient un temps étaient ses semblables.
Shimy n'avait plus de semblables, et elle n'avait plus de chez elle. Alors qu'ils se tenaient ici, surplombant les terres de Larbos qui s’étendaient à des lieux à la ronde, Danaël sentit quelque chose se serrer au creux de son estomac.
« Oui ? Non ? Je ne sais pas ? » balbutia Shimy en haussant les épaules, semblant chercher des yeux la réponse dans le panorama nocturnes qui s'étendait devant eux. « Je ne sais pas comment je suis censée me sentir. ».
Elle se tue et ils restèrent un instant sans rien dire, côte à côte comme ils se tenaient côte à côte lorsqu'ils devaient monter au combat.
Danaël aurait aimé être l'un de ces chevaliers de contes, de ceux dont les monstres n'étaient que des symboles et des métaphores dans un déguisement de chair. Ces chevaliers là pouvaient pourfendre les peines et les tourments à coups d'épée pour restaurer l'ordre que ceux qu'ils aimaient méritaient. Danaël avaient promit beaucoup pour une épée qui ne servait pas à grand chose.
Il se glissa le long de la rambarde du balcon et pressa doucement son épaule de long de celle de Shimy. Contre un camarade de sa rangée, un soldat risque moins de dommages. Les yeux toujours posé sur l'horizon, sur le ciel nocturne qui ressemblait à l'infinité même, Shimy laissa sa tête rouler sur le coté pour la poser sur son épaule, la pointe de son oreille se perdant dans les boucles blondes. S'il avait été un chevalier de livre de contes, il aurait pu lui offrir n'importe quoi. Il devait se contenter de ce qu'il avait.
« Je pourrais te faire visiter, si tu veux. »
Il lui montrerait Oroban. Il lui montrerait les bars et le théâtre, les places et les ruelles, les palais royaux et les jardins publics. Il l’emmènerait à chaque festival années après années, juste pour lui montrer qu'elle n'était pas tout à fait seule.
« Enfin, je ne sais pas si on aura beaucoup de temps, là tout de suite, avec Darkhell sur les bras, mais on pourra toujours revenir ! C'est pas le meilleure période de l'année pour profiter de la ville, de toute façon ! »
Contre lui, un tout petit rire échappa discrètement de la poitrine de Shimy, court, bas, un brin moqueur à l'encontre du monde entier, comme il avait apprit à le connaître. Alors pour ce rire, il continua :
« Non, vraiment, imagines ! Ce serait pas chouette pour des vacances ? Je connais plein d'endroit où on pourrait louer des chambres pour les fêtes de solstice ! Et la région fait des espèces de soupe sucrées à base de courges, je vous ferais goûter ! Je suis sûr que ça plaira à Jadina ! Et s'il fait pas trop froid, on pourra aller tous à la pèche ! Ça changera un peu de Darkhell !
-Oh, et puis je suis sûre que ce sera très amusant de te voir recroiser le commandant Ikaël au détour d'une rue », ajouta Shimy, un petit sourire pointu peint sur les lèvres.
« Oh, la ferme ! » souffla-il avant de se tourner vers l'horizon d'un air contemplatif, parce qu'un bon chevalier ne boudait pas.
« Quel cœur noble, ça c'est un projet digne d'un justicier ! » Shimy finit par se redresser, quittant le coté de Danaël pour faire quelques pas le long du balcon.
Vue de dos, elle avait des airs de fantôme, avançant la tête basse, plongée dans les ombres de la nuit. Et pourtant, il lui restait quelque chose de majestueux, comme une flamme continuant à brûler dans la tempête. Parfois il se demandait si les gens qu'ils croisaient trouvaient ses camarades aussi magnifiques que lui les voyait, ou si c'était une vision qu'il lui était réservé.
« Peut-être que ça va s'arranger. » déclara-t-il, comme si elle avait besoin d'être encouragée pour continuer.
Peut-être que c'était le cas. Peut-être que Shimy avait besoin de bien plus de chose qu'il n'y paraissait. Lorsqu'elle se retourna vers lui, elle affichait toute la majesté de façade qu'il l'avait vu prendre chaque fois qu'elle redevenait l'Elfe Elementaire. Éthérée et charmante, hypnotique et terrible.
« Je n'ai pas envie que ça s'arrange ! » protesta-t-elle, et Danaël n'était pas certain de savoir à quel point c'était vrai. « Je n'ai ni envie d'y retourner, ni envie de les revoir ! Je n'ai pas envie d'être triste pour une... bande d'hypocrites ingrats qui ne m'ont jamais traité comme autre chose qu'un espèce de pion à envoyer un peu partout sauf là où il fallait ! Je ne vais pas aller pleurer parce qu'ils ont arrêtés de se soucier de moi au moment où j'ai arrêtée de faire tout ce qu'ils attendaient de moi ! »
Ils percevaient encore quelques notes distantes de la musique d'un bal qu'ils avaient oublié. Il n'y avait plus que la voix de Shimy de réelle, remplie de peine et d'outrage. Elle disparue un instant dans le silence de la nuit pour mieux reparaître, moins forte, moins vive. Fatiguée.
« Danaël ? » appela-t-elle comme si, dans les ombres, elle ne le voyait plus.
« Oui ? » Un chevalier répondait toujours aux appels de son nom.
Elle porta une main à son cou et fit passer la chaîne de la clef elfique par dessus sa tête, comme si elle se défaisait d'une relique après une ancienne cérémonie. Sans faire un pas vers lui, elle tendit le bras dans sa direction. La clef pendait dans le vide sous son poing, tournant délicatement dans l'air, ses marques rouges et bleu servant de miroir à celles dessinées sur son front.
Alors que Danaël lui adressait un regard emplit de questions, elle déclara :
« Prends là. Elle est a toi maintenant. »
La clef tournait doucement au bout de sa chaîne, lent pendule qui semblait chercher avec peine à imiter le cadran d'une horloge dans ce moment ou le temps ne fonctionnait plus. Sur les chemins de campagne où les enfants de Larbos passaient leurs journées, dans les casernes mal ventilée où on faisaient dormir les Faucons d'Argent, il avait entendu parler des clefs elfique, artefact mystérieux dont on doutait parfois de la réalité. Certains disaient que personne ne pouvait réellement passer d'un monde à l'autre. Certains ne croyaient même pas aux elfes.
-L'assurance que je fais partie du peuple elfique et qu'ils sont miens autant que je suis à eux.-
« Je peux pas la prendre !
-T'es pas très doué alors. »
Il se souvenait des mots prononcés par Shimy la première fois qu'il l'avait rencontrée. Il s'en souvenait plus qu'il se souvenait de ce qui était arrivé plus tôt à Casthell.
-C'est une promesse de retour-
« Non, je veux dire. Si jamais tu venais à en avoir besoin ? »
-je sais que peu importe où je pourrais me trouver sur le globe ou au delà, j'aurais toujours une maison qui m'attend-
« Je m'en fiches. Ce n'est pas une question d'en avoir besoin. C'est pas ce qui compte. Je veux que ce soit toi qui l'ait. C'est ça qui est important. »
-Ma clef me rappelle que j'ai une place quelque part-
Parce que si elle venait à en avoir besoin, il serait là. Peu importe ce qu'il pourrait arriver par la suite, il serait là. Elle était sûre qu'il serait là.
-C'est mon foyer tout entier dans la paume de ma main.-
Alors Danaël tendit le bras vers elle, et Shimy déposa son foyer dans le creux de sa main à lui, doucement, pressant ses doigts contre les siens comme pour lui demander sans un mot d'en prendre soin. Il était à lui à présent.
-Ma clef est une promesse-
Shimy ne disait pas souvent grand chose, parce que les mots étaient importants, et que des mots prononcés à l'air libre étaient des mots vulnérables. Mais parfois, parfois seulement, elle n'avait pas réellement besoin de le faire : Danaël se souvenait.
« J'y ferais attention. » dit-il parce qu'il ne pouvait pas dire « Je serais là aussi » « Ce sera un honneur » parce qu'il ne pouvait pas dire « je vous aimes tous désespérément ».
Ils restèrent un instant face à face, deux statues sans âge, perdus dans les légendes qu'ils semaient derrière eux. Il garderait la clef contre son cœur aussi longtemps qu'il le faudrait, comme un insigne dont il ne se déferait jamais, comme la bannière sous laquelle il devrait combattre jusqu'à son dernier jour. Il serait un foyer et il la retrouverait à n'importe quel endroit du globe.
Le chevalier Danaël ne savait pas s'il devrait un jour avoir à traverser les mondes pour se rendre de nouveau à Astria, mais Shimy avait raison. Ce n'était pas ça qui était important. Ce n'était pas une clef qui se contentait d'ouvrir des chemins vers les îles elfiques. C'était une clef qui commençait tout. Il la serra entre ses doigts comme si elle risquait de disparaître et ouvrit les bras à l'adresse de Shimy. Elle le prit contre elle sans un mot, mais comme il avait vu ses larmes près d'un an au par avant, cette fois ci, il avait vu son sourire.
-Ma clef est une promesse-