Nobisa dort paisiblement. Dans un bon lit, bien douillet. S’il est vrai que le prix de la chambre est exagéré, le confort du lit l’amortit quelque peu.
Razzia, en revanche, ne dort pas. Il n’a pas sommeil. Ni aucune envie de se reposer. Et toute la douceur de tous les lits du monde n’arriverait pas à l’attirer.
Et comme il s’ennuie à ne pas veiller sur un feu de camp, il quitte sa chambre. Et l’auberge.
Dehors, lunes et étoiles scintillent en un harmonieux spectacle. Mais qui n’arrive pas non plus à le dérider.
Il repense trop au temps qu’il perd. Avec cet enfant, ce détour. Il pense à l’abandonner, mais des principes qu’il a encore au fond de lui chassent sa pensée.
Des principes que pour rien au monde il ne veut piétiner, cette fois. Jamais il ne refera comme… Avant.
Avant, comme dans ces échos d’un temps passé qui l’agressent.
Un temps qu’il regrette.
Où il ne se reconnaissait plus.
Où il s’en veut d’avoir été heureux, alors qu’aujourd’hui il n’est plus qu’un regret haineux.
Quand ces souvenirs le frappent, il lui vient une terrible envie de casser ce qui l’entoure. Des murs en font les frais. Quelques pierres au sol aussi.
Peu discret. Mais bon ; la ville entière est endormie avec la fraicheur nocturne.
Probablement encore plus à cause de la famine. Personne ne l’entend.
Mais soudain Razzia se met à entendre autre chose que des horreurs dans sa tête. Une autre horreur : un piétinement sourd, lourd et dur. Menaçant.
Pire : il semble se rapprocher…
Mais ça n’inquiète pas plus que ça le colosse. Ça l’intrigue, tout au plus. Pas de quoi changer sa marche.
Après tout ce temps, il sait reconnaître dans des pas des intentions meurtrières.
Et il entends que la rage dans cette démarche n’est pas dirigée contre lui. Alors pourquoi irait-il se fatiguer !
Seulement ce choix ne lui est pas laissé.
Et il le découvre… Alors qu’il tombe nez à museau avec le rodeur de nuit…
Il n’est pas grand. Mais immense. Plus que Razzia.
Il n’est pas terrifiant. Mais épouvantable. Avec ses crocs acérés dégoulinants de bave sanguinolente, ses muscles vibrants et saillants sous sa fourrure labourée et hérissée de pointes dures.
Ses cornes lui donnent un air de diable, semant fracas et désolation en ce lieu où il est craint comme la peste.
Il est le cauchemar de la ville. Il est le Ravageur.
Il…
N’impressionne même pas Razzia.
« Raptor était plus musclé. Et au moins lui il savait manier une arme. » assène-t-il, accompagné d’une toise piquante ! Et comble d’irrespect, il tourne le dos à la bestiole, pour continuer sa marche !
Erreur.
La bête se jette sur lui et le mords !
Heureusement elle rate la jugulaire… Mais elle prend soin de planter griffes et crocs dans le poitrail du colosse !
Pour autant elle ne lui arrache aucun cri. Tout au plus, elle stoppe sa marche.
« T’as envie de jouer ? Je suis pas d’humeur. »
Tellement pas d’humeur que Razzia arrache tous les pics plantés dans son corps en deux coups secs, avant de projeter ce tas de chair par-dessus son épaule !
La créature s’écrase dans un fracas retentissant !
Seulement, il n’y a que le sol de fracassé. Et quelques pointes. Le Ravageur demeure indemne.
Suffisamment pour se relever sur quatre pattes et provoquer le guerrier avec un cri strident.
Se bouchant les oreilles, cette fois il ne fait pas l’erreur de perdre de vue le monstre qui encore se rue sur lui !
Au dernier moment, quand il est sûr de ne pas se faire vriller les tympans, il découvre ses oreilles et empoigne l’assaillant aux cornes !
Il tient le coup, mais recule sur une bonne dizaine de mètres, poussé par ce boulet de canon bestial.
Et il est costaud l’animal : quand il constate que Razzia ne bouge plus, bien planté sur ses jambes, il se redresse sur deux pattes ! Et Razzia, surpris, ne lâche pas les cornes, se retrouvant suspendu en l’air, à la merci de cette nuée de couteaux qui sert de griffes à cette abomination !
Sauf qu’il réagit vite. Plus vite que la bête.
Il lâche un bras, récupérant un poing, qu’il martèle sur la gueule de la créature !
L’ennui, c’est qu’elle demeure robuste. Ce ne sont pas quelques crocs arrachés à coups de poing et encore plus de sang qui pourraient la déranger.
Trop robuste. Le guerrier le comprend.
Libérant la dernière corne, il retombe lourdement au sol. Le Ravageur veut en profiter et jette ses pattes avant pour l’attraper !
Chose que Razzia anticipe en se retirant d’un saut précis ! Juste avant de se jeter à son tour sur l’horreur, l’empoignant à la tête !
Puis il serre ! Il comprime les muscles gonflés, jusqu’à l’étouffer ! Il serre de toutes ses forces, insensible à ses ruades et ses coups !
Doucement, le Ravageur perd sa vigueur. Les ruades se font de plus en plus rares. Les griffes ne trouvent plus la force de transpercer la chair, ou même les vêtements de l’ancienne Ombre Rouge.
Finalement il cesse de bouger. Avant de s’écrouler lourdement dans les bras de son assassin.
Ce dernier le laisse tomber au sol. Puis il lui fend le crane d’un coup de pied marteau, répandant sa cervelle sur le sol fraichement craquelé.
Soudain la douleur laissée par les crocs et les griffes encore plantés dans son corps s’empare de lui. Comme si le temps de sa rage, il l’avait suspendue et qu’elle revenait s’abattre.
Sa promenade nocturne gâchée, Razzia refait route vers l’auberge, lâchant un râle puissant dans la nuit…
« Saloperie !! »
L’odyssée se suspends.
Razzia va se coucher à présent.
Laissant derrière lui
LES TRACES DE SANG
De ce Ravageur qui a eu le malheur de le croiser.