« Encore une plaine… se dit Razzia.

 

Ce guerrier triste pourfend la terre de ses pas. Des pas coléreux, vengeurs.
Il piétine plus qu’il ne parcourt cette lande pourtant radieuse.

 

Il ne la voit pas, cette bienveillance tout autour de lui ; il ne voit que son but, brillant comme une flamme qui le consume. Ce feu d’une passion morbide dont la brûlure pousse à la traque. Une traque hors de toute raison.

Pensez donc ! Elle lui fait oublier qu’il doit se reposer, se sustenter !

Tout ce qu’elle lui fait dévorer, ce sont les distances.
Le seul repos qu’elle lui accorde, c’est un ciel constellé d’étoiles qu’il admire un peu quand il n’est pas nuageux.

 

Dans une ancienne vie, Razzia adorait les étoiles. Il adorait beaucoup de choses. Sans parler de ces nombreux rêves.

Mais la lueur assassine du feu l’aveugle. Tout ça ne ressuscitera pas tout de suite. Même s’il y pense parfois.

Du reste, il pense surtout à son but. Rien qu’à son but.

 

Pauvre carcasse.

À moitié vivante.
Survivante, à peine.

 

Cette croix portée jusqu’à ce vestige ne lui a donné qu’un peu de répit. Un fragment d’âme d’une faible lueur.

C’est la dernière chose qui fait de lui non pas un mort qui marche, mais un vivant presque mort.

 

 

Selon lui, pour revenir à la vie, il faut tuer encore. Une dernière fois.

Assassiner un tueur.
Piteux paradoxe.

Cependant il l’ignore. Ou choisit de l'ignorer. Et le paysage n’arrive pas à lui donner tort.

 

Alors il marche.

Rongé peu à peu.

Brûlé lentement.

 

Lentement, aussi, la lumière se tarit. L’astre tombe.

 

Et puis, plus rien.
On n’y voit plus rien.

 

Qu’importe ; Razzia continue. Ça ne le change pas de d’habitude.

C’est ce qu’il croit.

 

Une chose change : une chaumière se découpe dans la nuit. La douce lueur d’un foyer en émane.

Ce n’est pas une lumière forte. Elle est chaleureuse, agréable, innocente, insignifiante presque. Pourtant elle arrête le guerrier marron.

Il voit cette lueur tel un phare. Lui, sur son navire, il est submergé.

De doux souvenirs, d’abord… Puis de regrets.
Ceux d’une vie qu’il n’a pas pu vivre…

 

C’est alors que toute la fatigue qu’il ignorait s’abat sur lui. Son ardent désir même se refroidit un peu.

 

Il ne peut plus marcher. Sauf… Vers cette lumière.

 

Elle est là. Derrière cette vieille porte.

Il frappe… Doucement…

 

On vient. On entrebâille la porte.

Razzia voit mal qui lui ouvre ; tout ce qu’il peut voir, c’est des traits d’enfant. Avec un visage inquiet, méfiant.
Pas étonnant.

Alors Razzia se veut rassurant :

 

-Bonsoir ! Tu vis tout seul ici ?

 

 

Pas de réponse. Seulement plus de méfiance.

Ça semble sans espoir. Que faire-

 

 

-Nobisa ! Qui est-ce ?

Une voix de vieille femme ! Dans la maison !

 

-Je suis un voyageur, dit Razzia à cette voix encore inconnue. Je cherche un endroit où me reposer.

-Êtes-vous armé ?

 

- !

 

-Eh bien ? insiste la voix du logis, intriguée par ce silence.

 

-Oui. Je le suis.

-Donnez vos armes à l’enfant. Après vous pourrez rentrer.

 

Razzia s’exécute, décrochant son massif fourreau. Il le tend ensuite au petit.

 

-Ça ira ?

 

Vu comment il titube en recevant la lame, non… Mais il ne dit mot, toujours avec son visage méfiant, puis disparaît derrière la porte.

Et finalement, elle s’ouvre.

 

Enfin un peu plus de lumière. C’est vers elle que Razzia se dirige en premier.

 

C’est un autre feu. Un vrai. Bien plus agréable.
Il réchauffe le corps. Et un peu le cœur.

 

-Voyageur ?

 

C’est la voix sans corps. Razzia se retourne et la découvre enfin.

Une vieille dame. Presque enterrée dans son fauteuil. Le regard mal éclairé vide. Ces yeux-là ne doivent pas voir grand-chose…

 

-Madame. Je vous remercie pour-

-Attendez avant de me remercier, voulez-vous. Je ne connais même pas votre nom.

 

-…

Je…

Hum…

Je m’appelle… Razzia.

 

-Razzia… J’ai une faveur à vous demander. »

 

 

L’odyssée se suspends.

Razzia doit aller de l’avant.

 

Laissant derrière lui
LES TRACES DE SANG
Que par rage il veut effacer.