Quelque temps après la mésaventure avec la roulotte, les deux se remettent en marche. Muets, comme toujours, avec Nobisa qui ne parle pas sans que les lunes ne soient levées.
Quoique… Cette fois, c’est peut-être Razzia qui fait le plus d’efforts pour se taire, lui qui a été empêtré dans la magouille du menteur comme un papillon qui aurait volé droit vers une jolie toile d’araignée.
Aussi hargneux et vengeur que puisse être un homme, il demeurera toujours une bonne part de naïveté auprès de son cœur… !
Si seulement elle pouvait prendre le pas sur ce feu qui fait bouillir son sang…
Car en l’état, il est loin d’être suffisant, ce morceau de cœur. Il ne suffira pas à tout reconstruire. Et puis ce n’est vraiment pas la priorité.
La priorité c’est de marcher. Atteindre Niccoh au plus vite. Encore à une cinquantaine de kilomètres de là…
Au moins, le paysage se diversifie. Des plaines verdoyantes de la côte rymarienne la lande se pare désormais de ruines.
À perte de vue, des champs.
Mais ravagés.
Pas une plante, pas un brin de quoi que ce soit ne subsiste. Tout est tristement piétiné. On dirait un cimetière de céréales.
Et au milieu de cette grisaille, un modeste hameau. Encore debout.
Enméé.
Razzia… l’avait oublié.
Ça arrive. Il se souvient surtout des grandes villes qu’il a rasé.
Mais c’est vrai qu’il existe, ce village. Il a un marché très fameux.
Même si on pourrait croire en regardant les alentours qu’il doit être mort lui aussi...
Les habitants qui croisent nos voyageurs marchent lentement. Leur regard est effrayé sans être hostile.
Mais d’eux on remarque surtout la maigreur. Pas la lumière qui se rallume quand ils voient l’immense sabre dans le dos du colosse.
On remarque également que le soleil se couche. Les habitants qui ne restent pas un peu pour jaser sur l’épée rentrent chez eux, et Nobisa les regarde un peu avec envie.
Une expression que ne rate pas le guerrier.
Alors il scrute, cherche… Et trouve.
Au bout de la rue. Une auberge. Ni trop luxueuse, ni trop tape-à-l’œil, surtout pas piteuse.
Après l’effort, qu’elle s’appelle.
« Viens. Profitons-en tant qu’on est là. » dit simplement Razzia en se dirigeant vers cette bâtisse.
Nobisa un peu surpris retrouve un certain aplomb pour le suivre.
Tous les deux entrent.
À l’intérieur… Pas d’ambiance.
Un autre désert, moins macabre. Et moins vide aussi : le tenancier est là, derrière son comptoir, à s’ennuyer.
Même pas à nettoyer un verre pour faire genre. Juste à affaler son visage fatigué dans ses mains poilues.
-Bienvenue. dit-il. Sans même faire le moindre geste.
-Bonjour… On voudrait deux chambres pour la nuit.
-300 kishus.
Aïe. C’est exorbitant. La tête que tire Razzia n’a rien à envier à celle qu’il faisait quand il a retrouvé Sheyla.
Aussi vite qu’il peut, il s’efforce de rester poli.
-…
Une seule suffira. dit-il, trop sec malgré tout.
"Je dormirai dehors."
-150 kishus.
Tout en bougonnant, Razzia farfouille dans sa bourse.
-J’espère qu’à ce prix-là le repas est compris. rétorque-t-il sans prendre la peine de s'efforcer.
-…
Non. Désolé.
Le guerrier à ses mots interrompt tout geste envers sa bourse. Ses mots dépassent ses pensées.
-C’est du vol. Et on a croisé un sacré arnaqueur en route.
-…
Je suis désolé monsieur.
Mais il vous faut comprendre : on a tout perdu à cause du Ravageur. Nos récoltes sont mortes, la moindre nourriture est hors de prix. Celui que je vous fais pour la chambre, c’est le minimum que je peux faire.
-Le Ravageur ?
-Une créature très dangereuse. Mortelle. Tous les soirs elle revient et détruit nos champs. Vous les avez vus en arrivant n’est-ce pas ?
-…
Oui.
Désolé pour vous.
Soudain les yeux de l’aubergiste brillent. Il se redresse et se détache de son comptoir !
-Mais vous êtes armé ?
-Oui ?
-Vous êtes… Un guerrier ?
-… !
Non n’y pensez-
-Vous pourriez affronter le Ravageur !!
-Non !
-Je vous offre une chambre pour vous et votre enfant si vous me promettez de vous en charger !
-Je vous ai dit non !
Allez-y vous-même !
Et ce n’est pas mon-
-Monsieur ! La ville toute entière meurt de faim ! Et ceux qui ont essayé quand ils pouvaient encore manger ne sont plus là ! Nous ne pouvons même plus fuir, nous sommes trop faibles…
-Écoutez. Je suis vraiment désolé pour vous.
Mais j’ai autre chose à faire et j’en ai plus qu’assez de perdre mon temps.
Razzia, fulminant, attrape Nobisa par le bras et commence à le trainer hors de l’auberge.
-Au revoir.
-Attendez monsieur.
Le colosse ne se retourne pas. Au début, du moins.
S’il finit par le faire, c’est parce que résonne un tintement métallique.
L’aubergiste. La tête baissée.
Il lui tends une clé.
-Laissez-moi vous offrir la chambre pour cette nuit.
« Une ruse grossière » pense Razzia.
Il s’apprête à quitter les lieux, mais on le retient.
L’enfant le retient. Ces yeux brillent. D’envie d’un bon lit, certes, mais surtout de compassion.
Dans un soupir hargneux, Razzia vient récupérer la clé. Toujours en trainant l’enfant.
-Ça ne me fera pas changer d’avis.
-Qui sait. J’ai envie d’y croire. C’est tout ce qu’il me reste. » rétorque l’infortuné, un léger scintillement au fond des yeux.
L’odyssée prends un tournant.
Razzia a le choix à présent.
Entre ce village ou ces
TRACES DE SANG
Qu’il veut au plus vite effacer.