C’est ce soir. C’est maintenant.

Je dois y aller.

Ai-je tout ?

Il me semble bien. Oui.

Alors j’y vais.

 

Je retrouve un ciel étoilé au-dessus de ma tête. Il arbore aussi deux lunes qui semblent se regarder. Et je les envie.

 

Je retrouve aussi un peu de vie. Plus qu’à l’intérieur, moins que sous le soleil.

On me croise. On me jette des regards interrogateurs. Mais ils finissent tous par mourir, leur curiosité inassouvie.

Ces yeux-là savent que c’est ce soir. Mais jamais ils ne sauront ce que cette obscure clarté est la seule à connaître avec moi.

Et ils n’ont pas besoin de le savoir.

Tout ce qui leur importe, c’est que je leur revienne.

Et ça arrivera.

 

Mais d’abord… Je les fuis.

 

Je fuis la compagnie, la vie au milieu de mes compagnons.
Je m’échappe au monde étouffant pour me retrouver face à bien moins. Et alors je contemple ce que nous sommes : des cœurs.

Des cœurs aussi nobles que puissants, mais enchaînés par le devoir. Si serrés sous leurs maillons de fers entremêlés qu’ils ne sont plus sûrs de battre.

 

 

Et alors que je fais des pas pour m’éloigner, je me retrouve face au miroir. Celui de l’onde calme.

Une seconde.

Juste une seconde de vérité pour que mon passé coule et m’emporte.

 

Il me ramène devant tous les paysages, sous toutes les latitudes. Et partout, des batailles.

Contre ce qui est injuste.

 

Chacune d’entre elles m’a blessé au même endroit, par un même coup à l’âme.

Un coup si violent qu’il me fait ployer genoux et retomber à terre. J’en connais les contours, l’odeur même, mais je ne peux l’esquiver.

 

Il est ma propre chaîne. Salement rouillée par ma sueur acharnée.
Il est le brutal rappel que chaque aube qui se lève sur une victoire n’éclaire pas encore les autres fronts qui naissent et m’attendent.

 

Qu’importe.

Je sais que je mène une guerre que je ne peux gagner.

 

Je ne fais que ce que je peux faire.

Je ne fais que de mon mieux. Aussi insuffisant que ce soit.

Je ne crois pas en moi pour une victoire totale. Mais en lui.

 

C’est cet engagement que j’honore ce soir.

C’est cette confiance si unique que je renouvelle, à toi.

 

Ah…

Mais ne brusquons pas les choses.

 

 

Quoique…

L’heure approche.

Mes préparatifs.

 

Avec moi, l’honnête travail d’un artisan. Son savoir-faire a produit une œuvre pure, si translucide que je la distingue si peu dans ma main dure. Si solide qu’aucune de mes cavalcades belliqueuses n’a pu l’abîmer.

Dans mon autre paume, du sang qu’on a mis en cage dans du silice poli et soufflé.

T’en souviens-tu ? C’est notre breuvage à tous les deux. Celui qu’on aime entre tous depuis toutes ces années.

 

 

Et ce soir, les lunes m’en sont témoin, je te l’offre.

 

Et je te lève mon verre.

 

 

À toi qui a un courage que je n’ai plus.

À toi, parti accomplir la vraie justice.

À toi, en qui je crois plus que tout. Avec le vain espoir que tu croies en moi.

 

 

À toi…

Mon héros.

 

 

 

 

 

 

 

Le sol a ouvert la bouche et reçu la liqueur qui t’étais destinée.

J’espère qu’il l’apprécie.

Dans ma gorge, le flot de rubis abandonne trop vite sa saveur sucrée.

Mon palais se retrouve asséché par l’amer retour à la réalité : le champ de bataille m’attend encore.

 

Il est temps de rentrer.

 

Il me reste tant à retrouver. Et tant à accomplir.
Et tant de coups à prendre.

N’importe qui croulerait sous cette montagne.

 

Pourtant, je me sens bien.

Car je le fais pour toi.

 

 

Aucune montagne n’est trop lourde ou trop grosse pour un être cher.

Aucun combat n’est inutile pour aider.

 

 

Je peux bien faire quelques miracles quand toi tu rends véritable l’impossible.

C’est honnête.
Avec ce que je suis.

 

 

Aussi fissuré que soit ce bonhomme que je suis devenu, je me refuse d’abandonner cette honnête fierté qu’il lui reste.

On m’a dit d’ailleurs que les fissures colmatées ne sont pas laides.

Je n’aime pas spécialement exhiber mes cicatrices. Mais j’aime les revoir.
Pour me rappeler le chemin que j’ai parcouru.

Surtout celui qu’on a fait ensemble. Malgré ces crevasses, il nous est arrivé d’admirer de belles aubes tous les deux !

Et je sais que grâce à toi elles brillent encore plus !

 

 

Toi…

 

 

Je sens qu’un jour tu auras bel bien apporté justice et vérité pour tous.

 

Ce jour-là, tu seras riche de tous tes souvenirs d’une vie vraiment héroïque.

Tu auras été par la forêt, par la montagne, avant de revenir trouver du repos dans la fraîche ombre de père endormi.

 

 

Et dans cette maison qui t’a vu grandir…

 

Mon frère…

Je t’attendrai.